Dr Emmanuel BENSIGNOR
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Les démangeaisons et le prurit

*Le prurit représente une « sensation désagréable entrainant le désir de se gratter ». Il s’agit d’un symptôme subjectif qui correspond à une sensation complexe, différente de la douleur, faisant intervenir:
    -  des médiateurs solubles présents dans la peau, soit à l’état normal, soit relargués par les cellules de l’inflammation
    - des cellules qui favorisent son apparition ou au contraire s’y opposent
    - des nerfs

*Il peut se manifester sous différentes formes, le plus souvent chez le chien par des mouvements de grattage avec les pattes, de mordillements, de frottements le long de murs ou de léchage. D’autres mouvements sont également possibles, comme des secouements de tête, des ébrouements, une irritabilité ou de l’aggressivité... Il sera donc important dans certaines races prédisposées à développer une affection dermatologique d’être attentif aux premiers signes de démangeaison, qui doivent inciter à rechercher l’apparition d’une dermatose prurigineuse.

*La sensation de prurit et les mouvements de défense de l’animal ont tendance à altérer la peau. Ces mouvements apaisent momentanément la sensation désagréable. Malheureusement, cet apaisement n’est que transitoire, et on observe rapidement une augmentation du prurit: on parlera de « cercle vicieux » (plus le chien se gratte plus il a envie de se gratter). D’autre part, toutes les dermatoses anciennes ont tendance à provoquer des remaniements cutanés non spécifiques (élévation de la température de la peau, sécheresse et/ou faible humidité cutanées) qui peuvent participer au phénomène.

*Le prurit représente seulement une manifestation de dermatose chez le chien parmi d’autres. Il peut être associé ou non à des lésions locales spécifiques. On parlera de prurit aigü lorsque son apparition est brutale et soudaine et son intensité d’emblée importante, et de prurit chronique lorsque son apparition a tendance à être longue avec des symptômes initialement peu marqués mais qui s’aggravent avec le temps.
 
*Il est également important de prendre en compte les phénomènes de seuil et de sommation des effets. Un animal ne se gratte que lorqu’il passe au dessus d’un certain niveau de démangeaisons (c’est le « seuil » du prurit). En outre, plusieurs dermatoses peuvent se surajouter. Chacune d’entre elles prise séparément ne sera pas responsable de prurit, mais leur association peut faire gratter (« sommation des effets »).

PRINCIPALES CAUSES DE PRURIT CHEZ LE CHIEN

Les affections pruritogènes sont désormais bien identifiées chez le chien. Il s’agit le plus souvent d’affections cutanées inflammatoires, allergiques ou parasitaires. Cependant, il faut retenir que de nombreux autres désordres peuvent également engendrer un prurit.

* Les dermatoses parasitaires

Plusieurs parasites sont à l’origine de l’apparition et du développement de dermatose prurigineuse chez le chien, au premier rang desquelles la gale sarcoptique. Cette affection est due à un acarien Sarcoptes scabiei var.canis, spécifique du chien, qui creuse des cavernes et des tunnels dans les couches les plus superficielles de l’épiderme. Le parasite provoque l’apparition d’un prurit à la fois par une simple action mécanique (pénétration de la peau, creusement des galeries, présence d’épines sclérifiées sur le corps) et probablement par un phénomène d’hypersensibilité. Les lésions cutanées sont d’abord localisées aux zones de peau fine (pavillons auriculaires, coudes, jarrets) mais ont rapidement tendance à se généraliser (photo n°1). Il existe des lésions antérieures au prurit (papules, croûtelles, érythème...) mais elles sont rapidement remaniées par le grattage et on n’observe alors plus que des lésions non spécifiques à type de croûtes, d’excoriations et d’érosions. Il s’agit d’une dermatose extrèmement contagieuse.
D’autres ectoparasitoses peuvent être prurigineuses. Ainsi la cheyletiellose, due à un acarien de grande taille Cheyletiella yasguri qui vit en surface de la peau, à l’origine de l’apparition d’un squamosis pitiriasiforme (nombreuses pellicules de petite taille) principalement sur la ligne du dos chez le jeune chien, la trombiculose liée à l’action des larves de l’acarien Eutrombicula autumnalis, qui se fixent dans la peau principalement au niveau des espaces interdigités ou des pavillons auriculaires (toutes les localisations sont cependant possibles), la phtiriose (présence de poux) ou la pulicose (présence de puces) par exemple. Enfin, il faut savoir que l’acarien Otodectes cynotis est responsable d’une otite externe très prurigineuse chez le chiot avec production d’un cérumen noirâtre sec assez typique.

NB: La démodécie (infestation par Demoeex canis) n’est le plus souvent pas prurigineuse, mais dans certaines races (West Highland White Terrier, Scottish Terrier) ou dans certaines localisations (espaces interdigités), elle peut le devenir.

* Les infections fongiques

Le plus souvent les dermatophyties (infections par des dermatophytes) ne sont pas prurigineuses. Il faudra cependant être attentif car certains cas peuvent le devenir, parfois à l’origine d’un prurit très marqué, en particulier lors d’infection par des dermatophytes non habitués au revêtement cutané du chien, qui provoquent chez leur hôte une réaction inflammatoire parfois violente (cas de Trichophyton mentagrophytes et de Microsporum persicolor).

La dermatite à Malassezia est due au développement sur la peau de levures et est systématiquement prurigineuse. Le prurit est alors toujours associé à des signes cutanés assez typiques (épaississement de la peau, présence de squames grasses et d’une odeur typique).

* Les dermatoses allergiques

Sans pouvoir développer ici les allergies du chien, rappelons que par définition une dermatose allergique est caractérisée par l’existence d’un prurit. Selon la cause, on pourra rencontrer la dermatite par allergie aux piqûres de puces, la dermatite atopique due à des aéroallergènes (substances véhiculées par le vent comme les pollens ou les acariens de la poussière de maison), la dermatite par allergie/intolérance alimentaire (l’allergène est alors contenu dans la ration alimentaire normale de l’animal) et la dermatite par allergie/irritation de contact.
L’allergie de contact est rare chez le chien, grâce à la présence protectrice du pelage. On peut parfois rencontrer des prurit de la face liés à une allergie au plastique de la gamelle, ou des prurit du cou liés au port d’un collier insecticide. Des irritations ou de véritables allergies vis à vis de substances contenues dans les revêtements des sols (ciment par exemple) ou dans les désinfectants ménagers (eau de javel) peuvent provoquer un prurit à localisation exclusivement ventrale. Le prurit de la dermatite atopique et de l’allergie alimentaire est très semblable, difficile à distinguer cliniquement avec initialement un léchage des extrémités des pattes, des frottements du museau et des épisodes d’otite externe. La généralisation est cependant rapide. En revanche, le prurit de la DAPP est assez évocateur car il est le plus souvent localisé au niveau dorso-lombaire (photo n°5). Cependant il existe des cas non localisés à cette zone, et toutes les dermatoses prurigineuses localisées à cette zone ne sont pas des DAPP...

Les allergies sont la première cause de prurit chronique chez le chien. Il faut savoir les différencier des ectoparasitoses, puis les diagnostiquer avec précision pour les traiter spécifiquement. Le recours à une démarche diagnostique rigoureuse est nécessaire dans ce cas, et il ne faut pas abuser des traitements médicaux antiprurigineux classiques, faute de quoi le passage à la chronicité est la règle, source de bien des désillusions.

* Les pyodermites

Il s’agit à notre avis de la deuxième cause de prurit chez le chien après les allergies. Plusieurs types de pyodermites peuvent s’accompagner d’un prurit chez le chien.
La dermatite pyotraumatique est une pyodermite de surface, c’est à dire très superficielle, qui apparait brutalement sous la forme d’une plaque suintante très prurigineuse localisée le plus souvent au niveau du dos. Cette affection peut être secondaire à une dermatite allergique. Elle est responsable de mouvements de mordillements ou de frottements très importants qui contribuent à son extension.
Les impétigos sont surtout localisés au niveau ventral chez le chien. Ils sont le plus souvent modérément prurigineux. La présence de grandes pustules contenant un pus sanieux, qui sèchent en laissant place à des croûtes mélicériques de grande taille est typique de l’infection.
Les folliculites sont très protéiformes chez le chien. Elles peuvent prendre l’aspect classique d’une dermatose pustuleuse dont les pustules sont centrées sur des poils, ou au contraire ne se manifester que par des zones alopéciques (sans poil), par des collerettes épidermiques à type de lésions cibles (squames confluentes de grande taille, rondes, entourant une zone hyperpigmentée) ou par un aspect mité du poil en particulier dans certaines races comme le SharPeï.
Mal traitées, ces affections ont tendance à devenir profondes: on parlera alors de furonculose ou de cellulite bactérienne. Ces affections profondes, caractérisées cliniquement par la triade « suppuration, fistulisation, nécrose » (présence de pus, de fistules et tissus cutanés nécrotiques) sont plus douloureuses que prurigineuses.
Toute infection bactérienne de la peau devra être traitée spécifiquement, c’est à dire par une antibiothérapie adaptée, prescrite au long cours. L’utilisation d’antiinflammatoires n’est jamais justifiée dans ces affections. En effet, ce type de thérapeutique provoquerait un effet rebond, avec une amélioration passagère du prurit mais une rechute plus grave dès l’arrêt du traitement...

* Les dermatoses kératoséborrhéiques

Toute inflammation cutanée est à l’origine d’une réaction de défense de la peau, qui se manifeste par une augmentation du taux de renouvellement épidermique, à l’origine cliniquement de l’apparition de squames de plus ou moins grande taille. Ces remaniements s’accompagnent de modifications de la composition chimique de la peau, qui peuvent être à l’origine d’un prurit. 

* Divers

D’autres dermatoses peuvent s’accompagner de prurit chez le chien. Par exemple certaines réactions « allergiques » vis à vis de médicaments ingérés sont à l’origine d’urticaires ou de prurit généralisé. Des maladies auto-immunes, heureusement rares, comme le pemphigus foliacé, sont caractérisées cliniquement par l’apparition de grandes pustules stériles (dans lesquelles on n’observe pas de bactérie) prurigineuses. Des troubles du comportement, principalement l’anxiété, sont à l’origine d’un léchage stéréotypé, qui constitue une activité de dérivation (le léchage procure une sensation de bien-être). Certains néoplasmes cutanés peuvent également engendrer un prurit. En résumé, la liste des dermatoses pruritogènes est longue...

THERAPEUTIQUE DU PRURIT CHEZ LE CHIEN

Il apparait donc évident que pour traiter un chien atteint de dermatose prurigineuse, il est primordial d’identifier la cause responsable de l’apparition de ce symptôme. D’une façon un peu simpliste, il est utile en dermatologie de distinguer des dermatoses prurigineuses avec lésions cutanées typiques (« une éruption qui gratte ») principalement de cause parasitaire ou infectieuse et des dermatoses prurigineuses avec lésions cutanées associées mais secondaires (une démangeaison qui finit en éruption), principalement de cause allergique ou psychogène.

Dans certains cas, un traitement antiprurigineux peut être prescrit pour apaiser temporairement l’animal, mais ce type de thérapeutique ne doit être mis en place qu’en association avec une recherche de la cause. En outre, la plupart des dermatoses prurigineuses se compliquent rapidement avec le développement d’infections cutanées, qui peuvent participer au phénomène et nécessiter un traitement adapté. 

Plusieurs classes de médicaments antiprurigineux sont utilisables chez le chien. Les glucocorticoïdes représentent indéniablement la classe de molécules les plus utilisées, parfois raisonnablement, souvent abusivement. Ces substances procurent une amélioration quasi-immédiate de la plupart des prurit. Elles présentent cependant des effets secondaires très invalidants à moyen et long terme. On les utilisera donc judicieusement, pour calmer une crise et/ou pour soulager rapidement l’animal (et son propriétaire). En revanche, leur utilisation sur les prurit chroniques n’est pas recommandable. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens présentent des effets anti-prurigineux variables. On peut utiliser les anti-histaminiques qui sont malheureusement moins efficaces chez le chien que chez l’homme, des psychotropes, des acides gras essentiels, et diverses autres molécules.

Enfin, il ne faut pas oublier l’utilisation souvent bénéfique des topiques, principalement des shampooings chez le chien, qui par un simple effet mécanique ont des propriétés apaisantes. En outre certains shampooings ont incorporé des substances astringentes, calmantes et apaisantes, qui participent de façon non sépcifique à l’effet antiprurigineux.